Le Concert : chanteuse et joueuse de luth

Gerard ter Borch

Musée du Louvre

Nous sommes sans aucun doute dans une riche demeure bourgeoise de Hollande au XVIIe siècle. Les meubles sont confortables et le tapis qui recouvre la table a été apporté de quelque lointaine terre d'Orient par un de ces navires hollandais qui sillonnaient, à cette époque, toutes les mers du globe. Terburg s'était fait l'interprète de cette vie opulente ; il avait pénétré dans l'intimité de ces marchands cossus qui joignaient, à une parfaite entente des affaires et à un sens pratique très développé, un goût marqué pour la bonne chère, pour le bien-être de leurs intérieurs, pour les étoffes riches. C'est, en effet, de solide et beau satin que sont tissés les vêtements des deux jeunes femmes représentées ici.

Le concert tableau peint par Gerard ter Borch
Le concert tableau peint par Gerard ter Borch

Cette petite scène du Concert est d'un naturel et d'une fantaisie charmantes. Assise sur une chaise basse en velours rouge, l'une des jeunes filles chante un air de musique dont elle suit attentivement les notes sur un feuillet ouvert devant elle. De la main droite elle bat la mesure. Sa figure est encadrée de cheveux blonds bien tirés, réunis en chignon sur le haut de la tête et retombant en boucles sur les tempes. Sans être belle, elle a la fraîcheur épanouie que donne la jeunesse et l'éclatante carnation des vigoureuses filles du Nord. Plus robuste encore est l'accompagnatrice qui, debout près de la table, pince la viole de ses doigts agiles. Derrière la cantatrice s'avance un petit laquais portant un verre sur un plateau. Sous son bras gauche il maintient le chapeau à larges bords qu'il a ôté avant d'entrer.

Terburg est, sans contredit ; le meilleur des petits maîtres hollandais de la belle période. Avec moins de fantaisie que Jan Steen et moins de méticuleuse précision que Gérard Dow, il l’emporte sur eux par la bonhomie aimable de la composition, par le naturel de ses personnages et surtout par la fermeté du dessin. Comme tous les peintres de l'école hollandaise, il possède d'instinct la difficile science du coloris et il manie le clair-obscur avec un art qu'on est surpris de lui voir prodiguer pour des scènes aussi menues, aussi insignifiantes pourrait-on dire. Mais est-il des scènes insignifiantes en peinture ? Quelle que soit la petitesse du sujet, le talent de l'artiste peut le hausser au niveau des plus hautes compositions, s'il réalise le problème de nous intéresser et s'il y déploie les qualités de la grande peinture. Ce secret, Terburg le possédait au plus haut degré. Non seulement il nous fait pénétrer avec lui dans la vie familière de la Hollande et nous la fait comprendre, mais il nous oblige encore à nous émerveiller devant les moyens supérieurs qu'il emploie pour y parvenir. Dans cette scène en apparence si banale du Concert, il a su allier la simplicité à la science : les valeurs y sont distribuées avec un art infini et la couleur y est répartie avec une harmonie parfaite. C'est mieux qu'une anecdote, c'est une page de vie privée nationale, scrupuleusement observée et spirituellement racontée.

Pendant assez longtemps on a traité avec dédain ces peintres délicieux, et le titre de petits maîtres qu'on leur donnait impliquait une sorte de classification péjorative. Une légitime réaction s'est opérée, et de nos jours on s'arrache, dans les ventes, ces tableaux autrefois méprisés. Et c'est justice, car ces maîtres de l'école hollandaise et flamande, s'ils ne s’embarrassaient pas beaucoup d'idéal, professaient du moins un culte véritable pour l'exacte traduction de la nature.

« Pour eux, écrit Théophile Gautier, un vase d'argent est aussi vrai qu'une cruche de grès, une rose n'est pas moins réelle qu'un chou, et s'il y a des cabarets enfumés, aux vitres jaunes, peuplés de buveurs rustiques, il ne manque pas de beaux intérieurs aux grandes cheminées à colonnes de marbre, aux fauteuils de velours, aux tables couvertes de tapis de Turquie, aux tentures en cuir de Bohême, aux glaces de Venise miroitant dans l'ombre, où de belles dames en jupe de satin, en veste de velours, font de la musique, écoutent les propos galants ou avancent leur main vers un long verre à patte qu'un page emplit de vin des Canaries. Terburg est un de ceux qui aiment à nous révéler cette somptueuse vie hollandaise, si calme, si reposée, si confortable. Ses personnages sont francs d'allure et de mouvement ; ils ont vécu et ils vivent encore grâce à l'art magique du peintre. Terburg exprime, d'une touche large et fine en même temps, les physionomies, les habits, les meubles et les accessoires. Il rend mieux que personne les cassures lumineuses et les ombres moirées du satin ; aussi n'est-il pas avare de cette étoffe et en donne-t-il une jupe à presque toutes les femmes qu'il représente. Terburg, chose rare parmi les peintres de son pays, savait faire des femmes jeunes et gracieuses dans leur pâleur hollandaise rosée, sur laquelle flotte l'ombre transparente des longues boucles blondes. Comme elle est charmante, avec son petit air naïf, sa coiffure en nœuds de rubans, sa casaque jaune paille et sa jupe de satin blanc, la musicienne du Concert qui chante et bat la mesure ! »

Le Concert appartient à l'ancienne collection nationale créée par Louis XIV.

Hauteur : 47 cm – Largeur : 44 cm.