L'Angélus

Jean-François Millet

Huile sur toile peinte entre 1857 et 1859
Dimensions : 55,5 cm x 66 cm
Visible au Musée d'Orsay

L'Angélus tableau peint par Jean-François Millet

Nul n'est prophète en son pays, affirme un vieux proverbe. La destinée de Millet justifia l'amère vérité de ce dicton. A aucune époque de sa vie, le pauvre peintre ne connut la douceur d'être compris, pas même sur ce coin de terre normande qui l'avait vu naître, grandir, produire, sans deviner de quelle gloire il allait embellir le sol natal. On raconte qu'un jour, un notable de Cherbourg se prit à dire : « Voyez comme nous sommes mal servis dans nos bonnes intentions. Chaque année, nous gratifions un enfant du pays d'une pension pour l'encourager dans ses dispositions d'art. Nous ne lésinons pas. Eh bien! jusqu'ici, nous n'avons récolté que des fruits secs. — Et Millet? lui demanda-t-on. — Millet, qu'est-ce que cela? Bien peu de chose. Il fait des paysans; ce n'était pas la peine de le pensionner pour peindre des bonnes gens que nous voyons tous les jours. »

Toute la France, à de rares exceptions près, pensait alors comme le notable de Cherbourg. Du richissime amateur au plus infime employé, en passant par le gros bourgeois rente, l'accord était una-nime pour déclarer que le paysan mal vêtu, gauche, souvent mal-propre, était indigne de solliciter l'attention d'un artiste. Ayant osé braver cette sentence, Millet fut accusé de faire œuvre révolutionnaire, de flatter les bas instincts du peuple en étalant sa misère et en la lui rendant haïssable. « C'est de la peinture de démocrates, affirmait Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts, de ces hommes qui ne changent pas de linge et veulent s'imposer aux gens du monde. Cet art me déplaît et me dégoûte. »

Le paysan n'était donc, à l'époque de Millet, qu'un être sans beauté, peut-être sans âme. De son dur labeur sous le soleil ou la pluie, de sa rude existence toujours vide de joies, nul ne se souciait; c'est à peine si le laboureur paraissait plus élevé dans l'échelle des êtres que le bœuf attaché à sa charrue.

Ce fut la gloire de Millet d'avoir réhabilité le paysan. A ce magnifique effort, il gagna peu de renommée, encore moins d'argent, mais il s'obstina dans sa voie généreuse. Loin de le rebuter, les critiques et les clameurs le piquèrent au jeu. Les toiles succédèrent aux toiles, les semeurs aux botteleurs, les bûcherons aux moissonneurs. Et le légendaire Angélus confirma la pensée des Glaneuses.

L'Angélus, c'est encore une éloquente et magnifique scène de la vie paysanne. Ils sont deux, un homme et une femme, attardés au travail de la terre, dans l'immensité morne de la plaine dorée par le couchant. Là-bas, vers l'horizon, se dresse le clocher du village, silhouette familière qui signale la place du foyer. Et voilà que, dans le soir qui tombe, les appels argentins de la cloche s'égrènent et courent au-dessus des labours. C'est L'Angélus du soir, l'heure de la prière. Et ces êtres falots, parias de la terre, redressent leur torse las, joignent les mains et courbent le front. Toute la laideur dont on affuble le paysan disparaît ; le geste de ces mains jointes et de ces fronts courbés ennoblit la scène d'une grandeur sans égale, car il dit la beauté du travail librement consenti.

« Ce que Millet a cherché à exprimer dans L'Angélus, c'est cette nuance d'émotion particulière, cette espèce d'attendrissement instinctif qui doit saisir parfois, aux champs, les plus frustes natures, à l'audition lointaine de ces cloches qui ont annoncé leur entrée dans la société chrétienne, célébré leur mariage, pleuré la mort de leurs proches, et sonneront leurs propres funérailles. Ce brusque rappel des 40 grandes dates de l'existence, consacrées, l'une après l'autre, par les antiques rites religieux, qui réveille confusément le sentiment de leurs destinées éternelles, Millet l'a traduit, chez ces taciturnes héros, par une inclinaison muette et une minute d'absorption intérieure : mais il renforçait en même temps l'éloquence de cette sobre mimique par la solennelle beauté du paysage. Les perspectives illimitées de la plaine s'enveloppent d'une vapeur dorée, l'absence de tout accident semble les prolonger à l'infini et les silhouettes des deux paysans, profilées à contre-jour sur l'immensité faiblement ondulée des fonds, remplissent tout le ciel de leur majesté inconsciente. » (Henry Marcel).

Ce magnifique chef-d'œuvre fut vendu 1800 francs, en 1859, à l'architecte Feydeau. Il appartint ensuite à M. Van Praet, passa dans diverses collections et fut payé 160 000 francs par M. Secrétan à la vente John Wilson. Lorsque fut dispersée la collection Secrétan, M, Antonin Proust acquit l'Angélus, pour le gouvernement français, au prix de 553 000 francs mais l'État ne ratifia pas l'achat. Enfin, il trouva asile dans la collection de M. Chauchard, qui le paya 800 000 francs et qui, à sa mort, l'a légué au Louvre.

Armand Dayot

L'Angélus est une oeuvre d'une très grande valeur, si le tableau devait être vendu aujourd'hui il atteindrait le plus haut de la côte de Jean-François Millet soit 2,5 à 3 millions d'euros.

L'Angélus figure désormais au Musée d'Orsay depuis 1986.