L'Inspiration du Poète

Nicolas Poussin

Musée du Louvre

Au pied d'un arbre, Apollon, dieu des arts, est assis, un large manteau drapant son corps superbe d'Olympien. Sa tête est couronnée de feuillage, et son bras droit, appuyé sur la lyre, est dirigé vers les tablettes d'un jeune poète qui, le visage illuminé d'une flamme idéale, sent pénétrer en lui le souffle divin de l'inspiration. Deus, ecce Deus ! Le visage frémissant du néophyte traduit à la fois la joie, la ferveur et l'extase. Au-dessus de sa tête vole un Amour, porteur de couronnes dont il va ceindre le front du poète. Vers lui se tourne également un autre Amour, armé du carquois symbolique, qui semble lui promettre d'autres lauriers, aussi doux que ceux de la gloire. Derrière le dieu, et contemplant la scène, une femme d'une idéale beauté, muse ou déesse, écoute d'un air ravi les strophes inspirées du jeune et charmant rapsode.

L'Inspiration du Poète tableau peint par Nicolas Poussin
L’Inspiration du Poète tableau peint par Nicolas Poussin

Dans cette harmonieuse composition se trouvent résumées toutes les belles et solides qualités de l'art de Nicolas Poussin ; la clarté, la conscience, la pureté des lignes, la fermeté du dessin. C'est du classique le plus pur, mais quelle vie dans les figures, quelle simplicité dans les attitudes, et avec quel art le peintre s'est tenu éloigné de la froideur académique !

Le Louvre est riche en oeuvres de Poussin. Il ne compte pas moins de quarante toiles de ce maître austère, laborieux et fécond, qu'on pourrait définir le philosophe de la peinture. « Toutes ses compositions, écrit Théophile Gautier, sont marquées au sceau du bon sens, de la rectitude et de la volonté. Si l'œil n'est pas toujours satisfait de ses tableaux, le raisonnement n'a jamais rien à y reprendre. Nicolas Poussin gagne beaucoup à la gravure, comme les peintres plus soucieux de la pensée, de l'ordonnance et du dessin que de l'agrément de la couleur, et même, en arrivant aux toiles dont on admirait les estampes, on éprouve parfois une sorte de désappointement, car les tons, posés d'ordinaire sur une impression rouge qui a repoussé, ont pris un aspect triste et rembruni. Mais si l'on ne se laisse pas rebuter par cette première vue, il se dégage bientôt de cette couleur flétrie et neutre un charme sévère comme de certaines pièces de Corneille, qui semblent d'abord ennuyeuses, et dont on sent plus tard la mâle beauté. Poussin a étudié l'antique, Raphaël et Jules Romain. Mais bien qu'il ait passé la plus grande partie de sa vie à Rome, et qu'il y soit mort, il n'en est pas moins resté Français, et chez lui l'idée l’emporte sur la sensation. La nature n'agit pas par son attrait propre, et il ne voit guère dans les formes que des moyens d'expression. L'exécution chez lui est toujours subordonnée au sujet et ne s'égaie pas dans cette joie libre de l'artiste qui peint pour peindre. Malgré cela ou à cause de cela, personne ne mérite mieux que Nicolas Poussin le titre de grand maitre. Il l'a été, sinon par le tempérament, du moins par toutes les nobles vertus qui s'acquièrent, se règlent et se développent sous la conduite d'une ferme raison. S'il n'a pas le grand style des Italiens, il a la correction soutenue, la gravité et la certitude magistrale du dessin. » Toutes ces qualités, fortifiées par la beauté morale de son caractère, valurent à Nicolas Poussin l'admiration de ses contemporains. « L'Apelle de notre siècle est mort », écrivait un Français de marque qui assistait à ses obsèques.

La postérité a ratifié ce jugement. A aucune époque, la gloire de Nicolas Poussin n'a subi d’éclipse ; elle a continué à briller à travers les siècles comme un soleil que les nuages ne pourraient voiler. Les querelles et les rivalités d'écoles se sont attaquées à bien des génies pour les discréditer ou les saper; elles ont toujours respecté Nicolas Poussin. Mieux que cela, chacun le revendique. Ingres se fait son panégyriste enthousiaste et dresse le vieux maître devant le romantisme comme le porte-étendard de la tradition. De son côté, Delacroix, adversaire du classicisme, réclame Poussin comme un précurseur, comme un quasi-révolutionnaire. « On a tant répété, écrit-il, qu'il est le plus classique des peintres qu'on sera peut-être surpris d'apprendre qu'il fut l'un des novateurs les plus hardis de l'histoire de la peinture. Poussin est arrivé au milieu d'écoles maniérées chez lesquelles le métier était préféré à la partie intellectuelle de l'art. Il a rompu avec toute cette fausseté. »

Nicolas Poussin fut un fervent de son art. Il peignit avec conviction, sans aucune préoccupation de lucre. Et s'il trouvait juste, en principe, qu'on rémunérât son effort, il demandait peu d'argent pour ses tableaux : une grande composition de Poussin était vendue environ mille francs. Souvent même il proportionnait le prix d'un tableau au nombre de figures qu'il renfermait, chaque figure lui ayant coûté un travail particulier.

Quelques critiques ont contesté l'authenticité de l’Inspiration du poète, qu'ils attribuent à Vouet. Les œuvres que nous possédons de ce peintre ne permettent pas de lui assigner ce tableau. Jamais Vouet n'a eu cette noblesse, cette harmonie, et surtout cette fermeté de dessin.

Hauteur : 183 cm – Largeur : 213 cm.