La Joconde

Léonard de Vinci

Musée du Louvre

Attention, le début de ce texte évoque le vol de la joconde qui eut lieu en 1911 et qui reviendra au Louvre en 1914.

On n'a pas oublié l'émotion qui secoua l'univers civilisé lorsque se répandit l'incroyable nouvelle ; « La Joconde a été volée. » Sur tous les points du globe, cette perte fut ressentie comme un désastre. Désastre, certes, et sans équivalent, car, avec la Joconde, a disparu l'une des plus grandioses productions du génie humain. Malgré son prodigieux assemblage de chefs-d'œuvre, le Salon Carré a perdu le meilleur de sa gloire ; dans l'écrin rempli de joyaux manque le plus beau diamant, celui qui jetait les feux les plus brillants et les plus purs. La Mona Lisa n'accueille plus le visiteur de son sourire énigmatique et qui sait en quels lieux l'étrange créature repose aujourd'hui son troublant et mystérieux regard ? Et, malgré tout, survit en nous l'indéfectible espérance de la revoir un jour à son ancienne place, triomphante et narquoise, et groupant une cour encore plus nombreuse d'adorateurs autour de son immortelle beauté.

La Joconde tableau peint par Léonard de Vinci
La Joconde tableau peint par Léonard de Vinci

Nulle peinture au monde n'a provoqué une aussi entière admiration. La Joconde a eu ses poètes, ses romanciers, ses amants. Certains hommes l'ont adorée comme un être vivant ; il en est même qui se sont tués pour elle et peut-être faut-il chercher dans une passion de cet ordre l'énigme de son étrange disparition.

Relisons la page enthousiaste où Théophile Gautier célèbre la Mona Lisa : « La Joconde ! Sphinx de beauté qui souris si mystérieusement dans le cadre de Léonard de Vinci et sembles proposer à l'admiration des siècles une énigme qu'ils n'ont pas encore résolue, un attrait invincible ramène toujours vers toi ! Oh ! en effet, qui n'est resté accoudé de longues heures devant cette tête baignée de demi-teintes crépusculaires, enveloppée de crêpes transparents et dont les traits, mélodieusement noyés dans une vapeur violette, apparaissent comme une création du Rêve à travers la gaze noire du Sommeil ! De quelle planète est tombé, au milieu d'un paysage d'azur, cet être étrange avec son regard qui promet des voluptés inconnues et son expression divinement ironique ? Léonard de Vinci imprime à ses figures un tel cachet de supériorité qu'on se sent troublé en leur présence. Les pénombres de leurs yeux profonds cachent des secrets interdits aux profanes et les inflexions de leurs lèvres moqueuses conviennent à des dieux qui savent tout et méprisent doucement les vulgarités humaines. Quelle fixité inquiétante et quel sardonisme surhumain dans ces prunelles sombres, dans ces lèvres onduleuses comme l'arc de l'Amour après qu'il a décoché le trait ! Ne dirait-on pas que la Joconde est l'Isis d'une religion cryptique qui, se croyant seule, entr'ouvre les plis de son voile, dût l'imprudent qui la surprendrait devenir fou et mourir ? Jamais l'idéal féminin n'a revêtu de formes plus inéluctablement séduisantes. Croyez que si don Juan avait rencontré la Mona Lisa, il se serait épargné d'écrire sur sa liste trois mille noms de femmes ; il n'en aurait tracé qu'un, et les ailes de son désir eussent refusé de le porter plus loin. Elles se seraient fondues et déplumées au soleil noir de ces prunelles. Nous l'avons revue bien des fois, cette adorable Joconde, et notre déclaration d'amour ne nous paraît pas aujourd'hui trop brûlante. Elle est toujours là, souriant avec une moqueuse volupté à ses innombrables amants. Sur son front repose cette sérénité d'une femme sûre d'être éternellement belle et qui se sent supérieure à l'idéal de tous les poètes et de tous les artistes. »

Le divin Léonard mit quatre ans à faire ce portrait, qu'il ne pouvait se décider à quitter et qu'il ne considéra jamais comme fini ; pendant les séances, des musiciens jouaient pour égayer le beau modèle et empêcher ses traits charmants de prendre un air d'ennui et de fatigue.

Doit-on regretter que le noir particulier qu’employait Léonard ait prévalu dans les teintes de la Mona Lisa et leur ait donné cette délicieuse harmonie violâtre, cette tonalité abstraite qui est comme le coloris de l'idéal ? Nous ne le pensons pas. Maintenant, le mystère s'ajoute au charme et le tableau, dans sa fraîcheur, était peut-être moins séduisant.

Le modèle de ce magnifique portrait s'appelait Lisa Maria di Noldo Gherardini ; elle épousa, en 1495, Francesco di Bartolomeo de Zenobi del Giocondo, d'où son nom de « Joconde », sous lequel elle est aujourd'hui célèbre.

La Joconde fut peinte vers 1500. François Ier l'acquit pour quatre mille écus d'or et la fit placer dans le cabinet doré de Fontainebleau. Elle passa ensuite dans la chambre de Louis XIV, à Versailles, Après la Révolution, le célèbre portrait fut transporté au Louvre et placé dans le Salon Carré.

Hauteur : 77 cm – Largeur : 53 cm.