Le Retour du pèlerinage à la Madone de l'Arc

Léopold Robert

Musée du Louvre

Dans le cadre prestigieux de la baie de Naples et suivant le rivage du golfe, une joyeuse caravane revient du pèlerinage légendaire à la Madone de l'Arc. Tous les ans, aux fêtes de la Pentecôte, la population napolitaine se rend en foule au sanctuaire vénéré, moins peut-être pour y prier que pour faire une gita dans la campagne. Or, ce jour-là, le golfe resplendit sous l'azur immaculé du ciel et la vapeur légère qui monte du Vésuve atteste la sereine immobilité de l'air. La fête a certainement été charmante, car nos pèlerins manifestent beaucoup d'entrain. Sur le chariot qui s'avance, traîné par deux boeufs aux cornes dorées et dont le joug est orné de feuillage, une jeune fille est assise, vêtue du traditionnel costume napolitain ; dans sa main droite elle tient une houlette enguirlandée et portant un bouquet. Derrière elle, un jeune homme, debout, se penche légèrement et la prend par la taille. Assise à côté d'elle, une paysanne cherche à détacher la banderole d'un bouquet que porte un chanteur à l'avant du chariot, à côté d'un petit musicien. A l'arrière un autre eontadino, les jambes pendantes, chante en s'accompagnant de la mandoline. Deux enfants, à pied, précèdent le char, en chantant et en dansant ; l'un d'eux porte un thyrse sur l'épaule, l'antre frappe la corde d'un instrument de musique, fait de trois maillets de bois. Sur la gauche, des paysans s'avancent en chantant.

Cette aimable composition faisait partie d'une série des Saisons que Léopold Robert, afin de rajeunir le sujet, avait conçue d'une façon très pittoresque. Le Retour du Pèlerinage symbolisait le Printemps. Un autre de ses tableaux, non moins célèbre, représentait l'Automne : c'est la Halte des Moissonneurs dans les Marais-Pontins. Pour figurer l'Hiver, le peintre, qui se trouvait alors à Venise, négligea le sujet rebattu du Carnaval et donna le Départ des pêcheurs de l'Adriatique pour la pêche au long cours. La fin tragique du malheureux artiste laissa la série inachevée.

Léopold Robert jouit de son vivant d'une grande réputation, supérieure peut-être à son mérite. Sa gloire fut par la suite très discutée : on lui reprocha son manque d'inspiration, son indécision, ses tâtonnements sans fin, ses contours secs et sa couleur un peu rocailleuse. Ces reproches sont en partie fondés. Léopold Robert travaillait lentement, revenant sans cesse sur le personnage déjà fait, effaçant, reprenant, effaçant encore. Tel de ses tableaux, comme Corinne improvisant au cap Misène fut recommencé une centaine de fois pour devenir enfin un Improvisateur napolitain.

Léopold Robert possédait néanmoins de remarquables qualités : s'il était indécis et timide, en art comme en son privé, il rachetait ces défauts par un amour passionné de la nature qui imprime à tous ses tableaux une grâce, un naturel, et même une spontanéité sous laquelle disparaît l'effort de ses tâtonnements. Peintre de genre avant tout, ses œuvres n'ont pas grande envolée, mais elles sont probes, consciencieuses et témoignent d'un sens très développé du pittoresque. Tous ses tableaux sont honorables ; deux d'entre eux, le Retour du Pèlerinage et la Halte des Moissonneurs sont des chefs-d'œuvre. En faut-il davantage pour illustrer un peintre ?

Quand il exposa à Paris sa Halte des Moissonneurs, le succès fut triomphal et, à l'issue du Salon, le roi attacha lui-même la croix de la Légion d'honneur sur la poitrine de l'artiste.
Célèbre en France, Léopold Robert ne l'était pas moins en Italie, où s'écoula la plus grande partie de sa courte existence. Ses succès lui valurent les faveurs les plus flatteuses; il bénéficia d'amitiés illustres dont son âme candide fut éblouie et qui mirent le drame dans sa vie. Il se trouvait à Florence lorsqu'il fut appelé à donner des leçons à la princesse Charlotte Bonaparte, fille du roi Joseph, et femme de Louis Napoléon, frère aîné du futur Napoléon III. La princesse était bonne, avenante et familière; elle raffolait du talent de l'artiste. Dans l'intimité du travail quotidien et dans l'abandon des conversations amicales, le pauvre peintre, nouveau Ruy-Blas, s'éprit de son élève, violemment, et pour toujours, « Ver de terre amoureux d'une étoile », il cacha sa passion à la princesse mais, au fond de son coeur, il nourrit l'impossible espérance que la fille des rois s'inclinerait un jour vers lui. En 1831, la mort de Louis Napoléon sembla devoir le rapprocher de son idole, mais celle-ci, ignorante des sentiments du peintre ou feignant de les ignorer, n'entendit rien « du murmure d'amour élevé sur ses pas », Léopold Robert comprit alors l'immensité de son erreur, il mesura l'abîme qui le séparait de la princesse. Désabusé mais non guéri, il quitta Florence et vint cacher à Venise son inconsolable douleur. Pour tâcher d'oublier, il se jeta à corps perdu dans le travail, mais sa mélancolie profonde attrista ses dernières œuvres qui portent l’empreinte de cet état d'âme. Et comme l'inacessible image l'obsédait toujours, le malheureux peintre, dans un accès de désespoir, se coupa la gorge le 30 mai 1835. Il n'avait que 41 ans.

Le Retour du Pèlerinage parut au Salon de 1827; il fut acheté 4.000 francs par l'État.

Hauteur : 142 cm – Largeur : 212 cm.