Les Bergers d'Arcadie

Nicolas Poussin

Huile sur toile peinte en 1637 – 1638
Dimensions : 87 x 120 cm
Visible au musée du Louvre

Les Bergers d'Arcadie est une œuvre parfaitement équilibrée dans laquelle quatre personnages antiques, dessinés avec précision, se groupent autour d'un vieux monument. La scène est baignée dans une lumière dorée. C'est l'Arcadie, pays de bonheur et d'innocence, souvent décrit par les poètes grecs. Le sens moral du tableau est clair le bonheur est dans un retour à la nature et aux façons simples d'une vie de berger. Ceci se trouve exprimé dans les visages graves, le paysage paisible et la tunique écarlate placée près de la toge jaune.

Les Bergers d'Arcadie tableau peint par Nicolas Poussin
Les Bergers d’Arcadie tableau peint par Nicolas Poussin

En bordure d'un chemin de campagne se dresse une pierre tumulaire qui rappelle au passant qu'un homme repose là. Des bergers, hommes frustes et de peu de culture, s'arrêtent devant le monument qu'ils considèrent, intrigués. L'un d'eux, agenouillé, la main tendue vers l'inscription funéraire, cherche à la déchiffrer. Péniblement, il épèle les mots : Et in Arcadia ego. Celui qui dort sous cette pierre se rappelle aux vivants, il fut un citoyen de cette Arcadie fertile, au ciel éternellement bleu que ses yeux à jamais fermés ne reverront plus. Cet appel d'outre-tombe semble éveiller des pensées dans l'âme simple des paysans groupés devant la pierre ; leurs visages reflètent une mélancolie évidente et cette sorte de solennel effroi que provoque chez tous les êtres la vision de l'inéluctable échéance. Tandis que l'un, debout, appuyé sur le monument, écoute attentivement celui qui lit, un autre, accoudé sur son genou, se tourne vers une jeune femme et lui explique le sens mystérieux de l'épitaphe.

Il se dégage de cette toile une philosophie sereine, un peu triste mais qui lui donne une inestimable valeur morale. Toutes les œuvres de Poussin emportent avec elles un enseignement ; chez lui, la joie de peindre s'accompagne toujours de l'expression d'un sentiment. Le noble et austère artiste ne recherche jamais l'effet : celui qu'il produit à coup sûr provient surtout de cette élévation de pensée qui force à s'arrêter devant son œuvre, à réfléchir et l'on est immédiatement conquis parce que les réflexions qu'il suggère nous sont offertes avec un art admirable, pénétrant, plein d'attrait.

Non pas que Poussin puisse être compté parmi les virtuoses du pinceau, ni qu'il se livre jamais à d'étincelants artifices de couleur. Sa manière est pondérée comme son esprit, son coloris est calme, discret mais d'une harmonie sans égale ; son dessin ne s'écarte jamais de la correction classique, il est plein de noblesse et de sincérité. Avec ces dons un peu sévères, un autre peintre serait tombé dans la monotonie, mais, par une grâce d'état bien rare. Poussin demeure attractif, plaisant, et profondément humain. Le beau contour de ses personnages est l'enveloppe des belles âmes, et c'est de la sérénité qu'on lit sur leurs visages aux lignes pures et tranquilles.

Nul n'a su comme Poussin se rapprocher de l'idéal antique. Et cependant ses moyens d'expression étaient bien pauvres, comparés à ceux dont on dispose aujourd'hui. Au XVIIe siècle, on ignorait tout ou presque tout de l'antiquité. Les quelques rares documents où puisaient les peintres consistaient dans les ruines éparses à Rome ou dans la campagne environnante. De la Grèce, de l'Egypte, on ne savait rien et Poussin, malgré ses études, ne possédait qu'une érudition très superficielle. Mais ce qu'il ignorait, son instinct d'artiste le lui faisait deviner, il était imprégné de cette atmosphère païenne qui flotte, en dépit de tout, sur la Ville Éternelle, et si, parfois, ses paysages sont inexacts et ses personnages anachroniques, l'ambiance et la conception sont bien réellement antiques.

Mais Poussin ne fut pas seulement un merveilleux évocateur ; il compte au rang des techniciens de la peinture destinés à briller éternellement. Moins par un effet de l'inspiration qu'à force de constance et de labeur, il s'est élevé, comme dessinateur et comme peintre, jusqu'aux plus hauts sommets de l'art. Voyez les Bergers d'Arcadie : quelle admirable entente de la composition, quelle harmonie dans l'ensemble, quel charme dans le détail et surtout quelle noblesse dans l'exécution ! Où trouver une plus superbe et harmonieuse création, une plus admirable pureté de lignes que dans la femme posée debout à côté des bergers ? Quelle vérité dans l'attitude et quelle richesse, contenue et sourde, dans la couleur des draperies ! Et si, quittant le groupe, on jette les yeux sur le paysage qui l'environne, il faut bien convenir que peu de peintres ont su donner autant de fluidité aux ciels, autant de vibrante chaleur à la lumière ; tous les plans sont ménagés avec un art infini et Poussin eût été un merveilleux paysagiste s'il n'avait été mieux encore que cela.

Bien qu'il ait passé la plus grande partie de sa vie à Rome, Poussin resta toujours Français de cœur et de tempérament et la France peut s'enorgueillir de lui, car il est un des artistes qui ont le plus honoré la peinture.

Les Bergers d'Arcadie se trouvaient en 1710 dans le petit appartement du roi, au palais du Louvre. Il en existe une répétition dans la collection du duc de Devonshire.