Pierre Paul Rubens
Huile sur toile peinte en 1636
Dimensions : 115 cm x 85 cm
Visible au Musée du Louvre
PIERRE-PAUL RUBENS est un des peintres les plus puissants et les plus féconds dont fasse mention l'histoire de l'art. Son œuvre est immense ; il n'est pas un grand musée d'Europe qui ne possède plusieurs toiles signées de lui, et cela s'explique si l'on songe que, de son vivant, il travailla beaucoup en Italie, en Espagne, en France et que les princes étrangers, lors de la vente qui suivit sa mort, se disputèrent à prix d'or les tableaux demeurés dans son atelier. Le Louvre est particulièrement riche en œuvres du grand peintre ; celle que nous donnons ici compte parmi les plus belles.
Elle représente Hélène Fourment, seconde femme de Rubens, avec deux de ses enfants. La jeune femme est assise tenant un de ses enfants dans ses bras tandis que l'autre, une fillette, placée devant elle, relève son tablier en un geste gracieux. Entre les deux enfants, on aperçoit un oiseau qui s'envole.
Rubens s'était marié deux fois, d'abord le 3 octobre 1609, avec Isabelle Brandt, fille de Jean Brandt, secrétaire de la Régence, peu après son retour à Anvers, lorsqu'il eut quitté le service du duc de Mantoue. Il avait à cette époque trente-deux ans, sa jeune épouse dix-huit. Elle lui donna deux fils dont les portraits figurent aujourd'hui à la galerie Lichtenstein, à Vienne. Elle mourut à l'âge de trente-cinq ans et Rubens éprouva, de cette perte, un profond chagrin. « En vérité, écrit-il, j'ai perdu une excellente compagne ; elle n'avait aucun des défauts de son sexe ; point d'humeur chagrine, point de ces faiblesses de femme, mais rien que de la bonté et de la délicatesse. Une semblable perte me paraît bien sensible et puisque le seul remède à tous les maux est l'oubli qu'engendre le temps, il faudra sans doute espérer de lui mon secours, mais qu'il me sera difficile de séparer la douleur que me cause sa mort du souvenir que je dois garder toute ma vie à cette femme chérie et vénérée ! »
L'apaisement se fit plus vite que ne l'avait espéré Rubens. Quatre ans après, le 6 décembre 1630, il épousait, à l'âge de cinquante-quatre ans, la jolie Hélène Fourment, nièce de sa première femme, qui n'avait que seize ans. On connaît d'elle, outre le tableau reproduit ici, un autre portrait aussi célèbre, généralement désigné sous le titre du Chapeau de paille.
Le portrait d'Hélène Fourment avec ses enfants est une merveille de légèreté et de transparence, « Ce ne sont, écrit Théophile Gautier, que frottis pénétrés de lumière, que touches lâchées et jetées comme au hasard mais qui expriment ce qu'elles veulent dire mieux que le travail le plus poussé. Dans cette toile d'une fraîcheur délicieuse, Rubens a tempéré sa rouge ardeur. Il est blond, argenté, nacré comme le satin et la lumière, ».
Rubens n'avait que soixante-trois ans quand il mourut, en pleine puissance de son génie, sans avoir subi cette déchéance qui, bien souvent, gâte la fin des plus grands artistes. Il fut enterré dans le caveau de messire Fourment, son beau-père. « Ces messieurs, relate le registre mortuaire de la paroisse, ont contribué tous ensemble aux dépens de transport et la quête a produit 9 gros 10 sous. Le convoi a eu lieu avec 60 flambeaux ornés de croix de satin rouge et la musique de Notre-Dame. Nous avons chanté le Miserere avant la messe, puis le Dies irœ et d'autres psaumes. Il a été exposé avec 6 cierges. Les frais de l'église, fixés d'abord à 6 livres, se sont montés à 69 gros 3 sous qui ont été payés. » Sa veuve. Hélène Fourment, fit construire derrière le chœur de l'église Saint-Jacques une chapelle où fut transportée sa dépouille. Sur l'autel se trouve le Saint Georges où l'artiste, dit-on, s'était représenté avec ses deux femmes, Isabelle Brandt en Vierge Marie, Hélène Fourment en Marie-Madeleine.
La succession de Rubens s'élevait à 700.000 florins. La veuve et les fils du premier lit, Albert et Nicolas Rubens, se firent adjuger, en plus des portraits qui leur revenaient, un certain nombre de toiles. Le reste fut vendu aux enchères publiques. Cette vente, qui ne comprenait pas moins de trois cent quatorze toiles ou dessins, eut lieu, le 17 mars 1642, dans une auberge d'Anvers, au Souci d'or, dont la tenancière, la veuve Sagers, reçut de la famille 474 florins pour prix des rafraîchissements servis aux agents et amateurs, parmi lesquels se trouvaient, avec l'envoyé du roi d'Espagne, les représentants de l’empereur d'Allemagne, de l'électeur de Bavière, du roi de Pologne (Gustave Geffroy). Les dessins et une grande quantité de tableaux furent acquis par le banquier Jabach qui, plus tard, revendit une partie de sa collection à Louis XIV.
Quant au portrait d'Hélène Fourment, il appartenait vers le milieu du XVIIe siècle, à M. de La Live de Jully ; à la vente de ce collectionneur, M. Randon de Boisset l'acheta 20.000 livres ; quelques années après, en 1777, il passe dans la collection du comte de Vaudreuil qui le paye 18.000 livres. Il est enfin acquis, pour 20.000 livres, par la Couronne, en 1784. Il figure aujourd'hui dans la partie de la grande galerie du Louvre réservée à la peinture flamande.
Armand Dayot