Bartolomé Esteban Murillo
Musée du Prado
La Vierge, en robe blanche, les épaules couvertes d'un manteau d'azur, couronnée d'étoiles et les pieds sur le croissant de la lune, monte, avec la légèreté d'une vapeur, vers le divin séjour où l'attend son trône. Ses belles mains se croisent sur sa poitrine, et ses yeux, noyés d'extase, boivent avidement l'éternelle clarté. Elle va retrouver au ciel, plein de gloire et à la droite du Père, le Fils qu'elle a vu expirer sur la croix. Autour de la Vierge flotte, dans une brume lumineuse faite d'azur, d'argent et d'or, une guirlande de petits chérubins beaux comme des anges, gentils comme des amours, qui folâtrent, volettent et s’empressent avec une gaîté bienheureuse. Jamais Daniel Seghers, le jésuite d'Anvers, ne peignit autour d'une vierge de Rubens une si fraîche couronne de roses, et encore les chérubins de Murillo sont-ils d'un ton plus délicat, plus léger, plus tendre. Les fleurs du Paradis l’emportent sur celles de la terre. Ce tableau, quelque admirable qu'il soit, n'est pas le plus parfait du maître de Séville, mais il a pour lui un charme adorable, une séduction irrésistible. Au sentiment du plus fervent catholicisme, il joint une espèce de coquetterie pieuse, d'afféterie céleste et de grâce amoureusement dévote que pouvait seul concevoir et rendre un peintre espagnol croyant et convaincu. (Théophile Gautier.)
Croyant, Murillo le fut à l'égal de ces moines qui vouèrent leur pinceau, dans le fond des cloîtres florentins, à l'exclusive glorification de Dieu. Comme Beato Angelicoi il consacra son art à célébrer les joies célestes et à exalter la radieuse image de la Vierge. On connaît de lui plus de vingt toiles représentant l'Immaculée Conception ; le musée du Prado en possède quatre, provenant de la collection de la reine Isabelle Farnèse ; quatre autres se trouvent au musée provincial de Séville, une autre dans la salle capitulaire de la Cathédrale. Il y en a en Angleterre et le Louvre se glorifie d'en avoir deux, parmi lesquelles la plus fameuse de toutes, celle reproduite ici, dont la réputation est mondiale.
Mais toutes ont une grande séduction et on pourrait leur appliquer la phrase de Vasari sur les femmes du Corrège : « Elles sont si jolies qu'on les croirait faites au Paradis. »
Cette beauté est bien particulière à Murillo ; elle n’emprunte rien à l'esthétique des grands Italiens ; elle n'a pas la suavité supraterrestre que Raphaël prête à ses Madones. Les Vierges de Murillo sont plutôt jolies et délicates, d'un charme enfantin, presque naïf, avec une pointe de réalisme, je n'ose pas dire de vulgarité, qui les fait plus proches de nous et nous les rend plus accessibles.
Et c'est précisément ce charme et cette délicatesse, surgissant dans l'ascétique et sombre art espagnol comme un flot de soleil dans les ténèbres d'un sous-bois, qui donnent à l'œuvre de Murillo son caractère exceptionnel et remarquable. Avant lui, la peinture religieuse était austère et se complaisait aux spectacles tragiques des supplices et des martyres. Aucune joie n'éclairait ces scènes effrayantes inspirées par une foi sans cesse aiguillonnée par la peur de l'enfer ; aucune joie, pas même celle du coloris. Herrera, le Greco, Ribera sont les plus illustres représentants de cette manière, conforme aux formules sévères de l'Inquisition. Tout autre est Murillo. « Son œuvre, écrit Gustave Geffroy, sourit, chante, et chatoie voluptueusement. A la place où grimaçaient les damnés, dans les bouffées de fumées rousses, on voit de petits anges ou de petits amours, cravatés d'ailes, qui se réjouissent. Murillo prend l'Espagne en fin de crise et discrètement il fait disparaître les chevalets, les tenailles, les instruments de torture encore chauds et rouges ; il travaille à la conquête des âmes par la douceur et la séduction, il rend accessible et charmante la religion de fer et de sang des Inquisiteurs. Murillo décore une église comme un théâtre et fait de la sacristie un boudoir.
L'Assomption, devenue populaire à force d'être reproduite, n'est pas, dans le sens absolu du mot, une image de piété ; mais elle demeure une apparition gracieuse, séduisante, jolie, gerbe de fleurs suaves cueillie par un peintre pieux pour l'offrir à la Vierge.
Cette célèbre toile représente bien l'assomption de la Vierge, son envolement vers Dieu sur les ailes de la charmante cohorte d'anges ; cependant Murillo l'a intitulée, ainsi que ses autres toiles sur le même sujet, la Conception Immaculée de la Vierge. Malgré le catalogue qui l'inscrit sous ce titre, nous lui conservons celui que la faveur universelle a consacré.
Ce tableau célèbre, apporté d'Espagne par Soult, fut vivement disputé à la vente après décès du maréchal. Adjugé à l'État pour 615.500 francs, il figura longtemps au Salon Carré du Louvre.
Hauteur : 274 cm – Largeur : 190 cm.