Frans Hals
Huile sur toile peinte vers 1626 – 1630
Dimensions : 58 cm x 50 cm
Visible au Musée du Louvre
Une des rares figures de Frans Hals qui ne soit pas égayée de ce large sourire que le peintre excellait à peindre. Mais que de bonhomie et de bonté dans cette face de vieille un peu vulgaire ! Quelle vie dans la tranquille douceur de ces yeux, et quelle merveille que ces mains osseuses, ridées, posées l'une sur l'autre et sous l'épiderme desquelles on semble voir courir le sang !
Il convient de s'extasier devant la force de ces peintres qui savaient tirer un effet de mouvement, de chaleur, de vie intense, avec les deux seules taches d'un visage et d'une main, sans le secours d'aucun agrément de costume et de parure. En ces tours de force, Franz Hals était passé maître.
« Frans Hals, écrit M. Fontainas dans sa belle étude sur ce peintre, est essentiellement un peintre de portraits ; mais nul comme lui n'a senti la nécessité, tout en demeurant vrai, sincère et précis, de faire passer dans l'apparence des choses ou des gens le frisson mystérieux de la vie ; nul n'a mieux compris qu'il n'était pas nécessaire, pour animer les figures, d'en transformer la ressemblance. Qu'il s'en soit tenu à appliquer sa méthode fougueuse au seul portrait, par son exemple il a laissé pressentir que tous les objets palpables et visibles, animés ou non d'un souffle propre, se magnifient quand on leur donne leur valeur d'expression et que le problème pour l'artiste est de la découvrir, de la mettre en lumière. En d'autres termes, l'intérêt d'une peinture réside moins objectivement dans la chose représentée, que dans l'œil, le sentiment, le travail du peintre Frans Hals ne s'inquiétait des souffrances, des joies des personnages dont il peignait les portraits, que dans la mesure où les traces de ces souffrances et de ces joies étaient empreintes dans les traits visibles de leurs physionomies. Il n'a pas mis dans son œuvre l'anxiété et la fièvre de Rembrandt, mais son esprit néanmoins ne fut point d'un flegmatique. Il s'est satisfait du décor humain, mais ce décor n'est jamais indifférent, insensible, neutre ; il porte, en marques ardentes, le signe certain, enrichissements ou ravages, des passions, des délires, des déboires, de la résignation.
Il ne transfigure pas, il est fort simple, dénué de toutes exigences intellectuelles ; son tempérament est un peu terre à terre, positif, jusqu'à un certain point lourd et même grossier. Soit ; mais ce qu'il voit, il le voit avec une joie fervente, il l'étudie, il s'en enivre, il le traduit, le transplante sur sa toile avec un acharnement de conviction, de résolution, de jouissance heureuse et forcenée. Il surprend, dans les corps vivants, le lien qui en fait un tout, le sang qui bat et qui circule, le muscle qui se tend et se détend, les mouvements du cœur, de la chair et des yeux. La figure humaine a seule préoccupé l'art de Frans Hals ; les visages et les mains sont les champs d'expression où se cantonne son observation ; nul n'en a tiré récolte plus abondante ; le costume, le luxe du vêtement, de la parure, soutient et complète la signification de ses portraits.
Mais un pouvoir appartient exclusivement en propre à Franz Hals, le pouvoir personnel d'exalter le rire. Le rire, sous toutes ses formes, à tous ses degrés ; le sourire indulgent, réticent ; le rire aigu, le rire épanoui, le rire qui illumine de gaietés fugitives les lèvres et les yeux ; le rire qui creuse les lignes du visage, coule aux coins retroussés de la bouche, agite de soubresauts le corps entier ; le rire grossier, caricatural ; le rire ample et bon enfant ; le rire plus discret, même subtil et mystérieux ; le rire dans ses variétés infinies, de bonté, de bonhomie ou d'amère ironie, fleurit et enchante une grande partie de son œuvre. »
Même dans ses vieux jours, à l'heure où la misère l'étreint, où la main languissante se traîne sur la toile, le jovial artiste trouve encore des lueurs de gaieté ; ses dernières œuvres s'éclairent malgré tout d'un sourire.
C'est que Hals fut toute sa vie un joyeux compagnon, assez ami du cabaret. Il ne donna pas l'exemple d'une existence très ordonnée ni très sobre, et sans doute faut-il attribuer à ces défauts, et à son imprévoyance, la pauvreté de ses dernières années. Néanmoins, il ne causa jamais de scandale et nous voyons que ses compatriotes le tinrent toujours en estime puisque, dans l'extrême vieillesse, il peignait encore les Régents de la cité.
Le portrait de femme que nous donnons ici appartient à la catégorie des figures graves que Frans Hals savait fort bien peindre à l'occasion, portraits de régents, réunions corporatives, groupes de famille, etc. On y retrouve les mêmes qualités de sincérité, de bonhomie et de maîtrise professionnelle.
Pendant longtemps, l'art de Frans Hals partagea le discrédit qui s'était attaché à la peinture hollandaise ; il a fallu arriver jusqu'à notre école réaliste moderne pour que pleine justice fût rendue à ces artistes délicieux. Courbet osa se réclamer de lui, d'autres peintres suivirent, et aujourd'hui les Frans Hals affrontent les ventes aussi victorieusement que les peintres du XVIIIe siècle, leurs égaux, pendant si longtemps, dans l'infortune.