Hans Memling
Musée du Louvre
« Si Bruges, écrit M. de Wyzewa, attire depuis un siècle tous les pèlerins de l'art, si elle leur apparaît comme une sorte d'Assise ou de Sienne flamande, peut-être le doit-elle moins à ses vieilles églises et à ses vieilles maisons, au silence de ses rues et de ses canaux, qu'à cette petite salle de l'hôpital Saint-Jean où sommeillent la Châsse de Sainte Ursule et les Vierges de Memling. » Les œuvres authentiques de Memling sont assez peu nombreuses : notre musée du Louvre est, avec l'hôpital de Bruges, celui qui en possède le plus. La Vierge aux Donateurs, représentée ici, compte parmi les plus belles.
Conformément au protocole adopté par les peintres flamands à la suite de Jean Van Eyck, la Vierge est assise sur un trône formant baldaquin et tient son divin Fils sur les genoux. A ses pieds, à droite, on aperçoit la Donatrice et douze femmes agenouillées comme elle, les mains jointes, et présentées par saint Dominique. A gauche, dans la même attitude dévotieuse, le Donateur et sept hommes, présentés par saint Jacques eu costume de pèlerin. De chaque côté du trône on aperçoit, dans le ciel bleu, les maisons et clochers d'une ville qui doit être Bruges, séjour habituel de l'artiste.
Par la facture et la composition, cette œuvre magistrale se rapproche considérablement de la manière de Van Eyck : celui-ci est peut-être supérieur à Memling par l'exécution technique, le modelé, la minutieuse reproduction des objets réels ; mais au point de vue de la conception des sujets religieux, tout l'avantage reste à ce dernier. Toute son âme passait dans ses œuvres ; il idéalisait, il glorifiait, il transfigurait les modèles qu'il avait sous les yeux.
Ecoutons Fromentin dans son éloquente comparaison entre l'art de Van Eyck et celui de Memling :
« Considérez Van Eyck et Memling par l'extérieur de leur art ; c'est le même art qui, s'appliquant à des choses augustes, les rend avec ce qu'il y a de plus précieux. Sous le rapport des procédés, la différence est à peine sensible entre Hans Memling et Jean Van Eyck, qui le précède de quarante ans ; mais, dès qu'on les compare au point de vue du sentiment, il n'y a plus rien de commun entre eux : un monde les sépare… Van Eyck copiait et imitait ; Memling copie de même, imite et transfigure. Celui-là reproduisait, sans aucun souci de l'idéal, les types humains qui lui passaient sous les yeux. Celui-ci rêve en regardant la nature, imagine en la traduisant, y choisit ce qu'il y a de plus aimable, de plus délicat dans les formes humaines, et crée, surtout comme type féminin, un être d'élection inconnu jusque-là, disparu depuis. Ce sont des femmes, mais des femmes vues comme il les aime, et selon les tendres prédilections d'un esprit tourné vers la grâce, la noblesse et la beauté, de jolies femmes avec des airs de saintes, de beaux fronts honnêtes, des tempes limpides, des lèvres sans un pli : une béatitude, une douceur tranquille, une extase en dedans qui ne se voit nulle part, toutes les délicatesses adorables de la chasteté et de la pudeur ! Quelle grâce du Ciel était donc descendue sur ce jeune soldat ou sur ce riche bourgeois pour attendrir son âme, épurer son œil, cultiver son goût, et lui ouvrir à la fois sur le monde physique et le monde moral des perspectives nouvelles ? »
Très longtemps on s'est posé la même question que Fromentin, devant les œuvres de Memling, si idéales, si différentes par la suavité de l'expression des œuvres de Van Eyck et des peintres flamands de cette époque. Et, le croyant Flamand aussi, on s'étonnait qu'une fleur aussi délicate ait pu germer parmi les plantes brillantes mais un peu vulgaires de la peinture flamande.
La découverte récente, par un savant Jésuite, le P. Durand, d'un manuscrit des archives de Saint-Omer, permet de résoudre aujourd'hui cette question demeurée jusqu'ici sans réponse. Une simple phrase suffit à éclairer les obscurités de ce problème. Cette phrase, la voici : « Le onze août (1494), est mort dans notre ville maître Hans Memmelinc, regardé comme le plus habile et excellent peintre de la chrétienté. Il était né dans la principauté de Mayence et a été enterré dans l'église Saint-Gilles ».
Hans Memling n'était pas Flamand, mais Allemand, Il s'était fixé à Bruges, venant de ces terres rhénanes qui, durant tout le Moyen-Age, avaient été un vivant foyer de rêverie poétique et mystique. Mais surtout il avait étudié dans la vénérable capitale de l'art religieux et c'est de Cologne que vient en droite ligne tout ce qu'il apporte de nouveau dans le vieil art flamand ; l'ingénuité, la finesse, la douceur et surtout l'émotion qu'ignorèrent toujours Van Eyck et ses continuateurs. Seulement Memling, habitant Bruges, a traduit ses visions et ses émotions dans la langue des peintres flamands. « En associant aux formes des Van Eyck les sentiments de Lochner, il a renouvelé la peinture flamande ; il l'a sauvée aussi en l'arrachant à un naturalisme où elle dépérissait d'année en année. »
La Vierge aux Donateurs appartenait à la collection du comte d'Armagnac ; elle est entrée au Louvre avec les autres toiles léguées par Mme la comtesse Duchatel, en 1878.
Hauteur : 130 cm – Largeur : 157 cm.