Louis Tocqué
Château de Versailles
Le dauphin est représenté à l'âge de dix ans, en costume de cour. Il est vêtu d'un habit rouge serré à la taille et dont les pans s'évasent un peu, suivant la mode de l'époque. La culotte, fixée au genou par une boucle d'or, est rouge aussi. Sur toute cette pourpre, le gilet blanc fait une tache brillante, tempérée par l'éclat plus discret des broderies d'or et par le large cordon bleu du Saint-Esprit qui barre la poitrine. Le dauphin se tient de out de trois quarts, tourné à droite ; le visage, un joli visage rose et frais d'enfant heureux, regarde de face ; une perruque poudrée encadre cette charmante figure. La main droite est appuyée sur la hanche, conformément à une habitude qui paraît assez familière aux Bourbons, car Louis XIV et Louis XV, peints par des peintres différents, sont représentés dans cette même attitude. De la main gauche presque tendue le jeune prince montre un globe terrestre posé à terre près d'une table. A gauche, des cartes de géographie, attributs d'écolier bien plus que de futur souverain. En les plaçant là, le peintre a sans doute voulu indiquer que le dauphin se prépare par un labeur soutenu à remplir dignement les lourdes et redoutables fonctions du gouvernement d'un peuple.
Dans le fond du tableau on aperçoit une galerie surmontée d'une balustrade, et une draperie bleue relevée. Signé : Louis Tocqué pinxit. 1739.
Dans ce portrait le peintre a traduit avec bonheur la grâce enfantine du modèle que la somptuosité officielle du cadre ne parvient pas à diminuer. Il y a de la douceur dans le regard et une sorte d'affabilité dans l'attitude, malgré le port majestueux imposé par l'étiquette. On lit déjà dans le visage toutes les belles qualités de ce prince, aimable et bon, qui donna à la France des espoirs qu'une mort prématurée devait tromper. De son mariage avec Marie-Josèphe de Saxe, il eut trois fils : l'infortuné Louis XVI, Louis XVIII et Charles X.
Rarement Tocqué se montra mieux inspiré que dans ce portrait ; comme la plupart des peintres de son temps, il préfère peindre les femmes et les enfants que les hommes faits. L'élégance des formes, la gracilité des traits conviennent mieux à son talent délicat et un peu maniéré. Il n'a pas la majesté ni la fermeté de Rigaud, mais il a du charme, un dessin correct, une touche légère, un dessin agréable, bien faits pour plaire aux pimpantes dames de la cour qui se disputaient la faveur de poser devant lui. Son talent s'apparente davantage à celui de Nattier auquel il est d'ailleurs attaché par les liens de la reconnaissance et de la famille.
C'est Nattier, alors dans toute sa gloire, qui recueille Tocqué devenu orphelin à dix ans ; c'est lui qui lui met le pinceau dans les mains et qui dirige ses débuts. Comme premier essai, il le charge de faire des copies de tableaux de maîtres et l'élève s'en acquitte à merveille ; il étonne son protecteur par sa manière large, solide et par une telle perfection d'imitation qu'il était presque impossible de distinguer la copie de l'original. Ce travail procure quelque argent au jeune artiste et lui permet de subvenir à l'éducation de ses deux sœurs et de son frère, que la mort de leur père avait voués comme lui-même à la pauvreté. Mis en vedette par ces copies et fortement secondé par Nattier, Tocqué vit grandir rapidement sa réputation et il ne tarda pas à devenir à son tour un peintre à la mode. La cour et la ville s'arrachaient ses portraits, où ses modèles se présentaient toujours sous leur aspect le plus avantageux. Il ne faisait en cela qu'imiter Nattier, son protecteur devenu son beau-père. En 1734, l'Académie le reçoit parmi ses membres. Devenu célèbre, il profite de sa vogue pour faire payer très cher ses portraits, et tel est l'engouement général qu'on le recherche d'autant plus que ses prix sont plus élevés. En peu de temps il devient riche et à son tour il peut rendre à Nattier vieilli et délaissé les bienfaits qu'il en a reçus. Il subvient à l'entretien du grand artiste dont la faillite de Law a englouti la fortune. En 1760, il est appelé en Russie par l'impératrice Elisabeth afin d'y exécuter un certain nombre de tableaux, qui lui furent royalement payés. Dans son voyage de retour il parcourut les cours du Nord, partout accueilli et fêté comme un prince de la peinture ; il fit partie de toutes les Académies de l'Europe. Rentré à Paris, il abandonna définitivement le pinceau pour jouir de sa grande fortune.
Sans avoir un mérite exceptionnel, Tocqué se place néanmoins parmi les bons portraitistes du XVIIIe siècle, entre Nattier et Largillière, par ses qualités brillantes et faciles. Il excellait surtout à rendre les étoffes d'or et d'argent ainsi que le chatoiement des satins et des velours.
Le Portrait du Dauphin fit partie de la collection de Louis XV, pour qui il avait été peint. Il passa ensuite dans le domaine national au Louvre.
Il se trouve actuellement au château de Versailles.
Hauteur : 195,6 cm – Largeur : 146,7 cm.