Maurice Quentin La Tour
Musée du Louvre
Le roi est représenté dans tout l'éclat de la jeunesse. Quentin La Tour a rendu avec bonheur cette tête charmante et fine qui faisait de Louis XV le plus beau gentilhomme de France. Le front, d'un dessin très pur, se développe entre les boucles d'une perruque poudrée ; sous des sourcils parfaits, les yeux bien ouverts ont de la finesse, de l'intelligence, de la bonté ; le nez, un peu charnu à la base, accuse cette courbure caractéristique dans la famille des Bourbons ; l'incarnat des lèvres trahit la sensualité bien connue du monarque ; le menton assez allongé termine agréablement ce beau visage et lui donne un grand air de distinction. Une fine cravate blanche enserre le cou. Le roi est revêtu d'une riche armure ornée de fleurs de lis d'or et doublée de velours bleu ; il porte en sautoir le grand cordon de l'ordre du Saint-Esprit, en moire bleue ; sur la poitrine s'étale un autre cordon, écarlate celui-là, auquel est attaché l'ordre de la Toison d'Or. Sur l'épaule droite est négligemment jeté le grand manteau royal fleurdelisé et doublé d'hermine.
Ce portrait, comme tous ceux de Quentin La Tour, est d'une exécution supérieure et d'une intensité de vie étonnante. Tout le charme du modèle est magnifiquement traduit dans la douceur caressante des yeux ; c'est bien là le monarque aimable et joli qui, dans les premiers temps de son règne, mérita le beau titre de Bien-Aimé que lui avait donné son peuple. Et n'allez pas croire que le peintre a flatté son modèle ; tous les portraits et toutes les gravures du temps attestent la beauté un peu efféminée de Louis XV. Au surplus, Quentin La Tour n'avait rien d'un courtisan. Dans une précédente notice, on a pu voir qu'il mettait assez peu de bonne grâce dans ses rapports avec la Cour et que le roi lui-même n'échappait pas à ses boutades. Plusieurs fois, au cours des séances de pose, il se livra, parlant à Louis XV, à des réflexions inconvenantes que Louis XIV n'eût pas tolérées mais que son successeur supporta sans colère. D'ailleurs, comme tous les Bourbons, Louis XV avait de l'esprit et, plus d'une fois, les reparties du monarque laissèrent le pauvre La Tour interloqué et pantois.
Le portrait de Louis XV figura au Salon de 1748 avec ceux de la Reine, du Dauphin, du maréchal de Saxe, du maréchal de Belle-Isle, du prince Edouard et de plusieurs autres. A cette époque, La Tour était à l'apogée de sa réputation ; la Cour et la ville le proclamaient le roi du pastel. Tout ce que Paris comptait de considérable par la naissance et la fortune briguait l'honneur de se faire peindre par lui. La Tour, aussi avisé en affaires qu'habile homme en peinture, exploitait cette vogue et demandait pour ses portraits des sommes très élevées. Sans être avare (car il donna maintes preuves de générosité), il avait une haute opinion de son talent et bien souvent ses prétentions furent à ce point exorbitantes que ses modèles lui laissèrent pour compte ses portraits plutôt que de payer les sommes excessives qu'il réclamait. Nous l'avons vu exigeant quarante-huit mille livres pour le portrait de Madame de Pompadour ; nous le retrouvons, à toutes les époques de sa vie, bataillant pour le règlement de ses portraits, par exemple pour ceux de Mesdames dont il réclame des prix exagérés.
Par un curieux retour de fortune, la faveur qui s'attachait aux œuvres de Quentin La Tour diminua considérablement sur la fin de sa vie. Il est vrai de dire que sa main n'était plus aussi sûre et qu'il gâtait souvent, par des surcharges et des retouches inutiles, des portraits admirablement peints du premier jet. Quand il mourut, dans un état voisin de la folie, il était déjà presque oublié d’une génération qui s'était créé de nouveaux goûts et forgé de nouvelles idoles. Après sa mort, cette défaveur s'affirma encore et tourna à l'injustice. L'avènement de la peinture classique, instaurée en France par David, acheva cette déchéance, et le brillant pastelliste fut englobé dans la même réprobation que Boucher, Fragonard et Watteau.
Lorsque, en 1817, son frère, se conformant aux dernières volontés de La Tour, légua la plupart de ses toiles à la ville de Saint-Quentin, on procéda à une vente qui devait permettre de réaliser certaines libéralités du grand pastelliste à des œuvres charitables. Ces enchères sont demeurées célèbres ; personne ne voulait de ces œuvres que l'on couvre d'or aujourd'hui. Le magnifique portrait de Rousseau fut retiré à trois francs et celui, non moins beau, de Mondonville accordant son violon n'atteignit pas cinq francs. Devant ce piètre résultat, l'abbé Duliège, cousin de Quentin La Tour et son exécuteur testamentaire, renonça, d'accord avec la municipalité de Saint-Quentin, à pousser plus loin cette désastreuse opération.
Vers la même époque, vingt-cinq préparations de Quentin La Tour sont vendues soixante livres ; en 1820, un portrait de La Tour par lui-même, qualifié par l'expert de « très beau », est adjugé 15,95 francs.
En 1824, vingt-trois portraits, dont dix encadrés et les autres en feuilles, sont vendus en lot pour une somme dérisoire. Le portrait de Crébillon père atteint péniblement trente francs. Tout récemment encore, en 1874, deux « préparations » de Silvestre et Dumont le Romain, par Quentin La Tour, étaient adjugées 300 francs et le portrait du Dauphin montait, non sans effort, à 620 francs.
Il en va tout autrement aujourd'hui. Les pastels de La Tour atteignent aujourd'hui des prix que le célèbre pastelliste, si âpre au gain, n'aurait jamais osé rêver. Qu'il nous suffise de rappeler la vente Doucet, toute récente, où le portrait de Duval de l'Epinoy, par Quentin La Tour, est monté jusqu'à six cent mille francs.
Quelque excessif que paraisse ce revirement, il n'est que juste, car Quentin La Tour fut réellement un grand artiste et il faut se souvenir du mot du baron Gérard, devant une de ses préparations : « On nous pilerait tous dans un mortier. Gros, Girodet, Guérin et moi, tous les G, qu'on ne tirerait pas de nous un morceau comme celui-ci ! »
On ne saurait mieux faire que de citer l'opinion de Diderot sur Quentin La Tour, à propos du Salon de 1767 : « C'est, certes, un grand mérite aux pastels de La Tour de ressembler ; mais ce n'est ni leur principal, ni leur seul mérite. Toutes les parties de la peinture y sont encore. Le savant, l'ignorant les admirent sans avoir jamais vu les personnes ; c'est que la chair et la vie y sont, mais pourquoi juge-t-on que ce sont des portraits et cela sans s'y méprendre ? Quelle différence y a-t-il entre une tête de fantaisie et une tête réelle? Comment dit-on d'une tête réelle, qu'elle est bien dessinée, tandis qu'un des coins de la bouche relève, tandis que l'autre tombe ? Dans les ouvrages de La Tour, c'est la nature même, c'est le système de ses incorrections telles qu'on les y voit tous les jours. Ce n'est pas de la poésie ; ce n'est que de la peinture. »
Le portrait de Louis XV fut acquis par le Louvre, où il figure dans la salle réservée aux œuvres du grand pastelliste.
Hauteur : 98 cm – Largeur : 65 cm.