François Gérard
Musée du Louvre
Assise sur un pan de roche, le bas du corps enveloppé d'une gaze transparente, la blonde Psyché reçoit avec étonnement le premier baiser de l'Amour, gracieusement penché vers elle. Cette sensation inconnue l'agite ; elle porte les mains à son cœur ému ; la pensée, le sentiment s'éveillent dans son être jusque-là endormi, et sur son front le papillon de l'âme palpite et bat des ailes. Il est difficile de mieux rendre la beauté virginale de la première jeunesse que ne l'a fait Gérard dans cette délicieuse figure ; rien n'est pudique comme l'attitude craintive de ce joli corps qui se pelotonne comme un oiseau effarouché qui replierait ses ailes-L'Amour aussi est charmant, mais sans afféterie ; il ne rappelle en rien les Amours de Boucher et de son école. Ses grandes ailes d'épervier lui ôtent l'air poupin d'un Cupidon de boudoir. Avec ses formes sveltes et sa fière élégance, il représente exactement l'Amour antique, le bel Éros grec. Bien mieux, il symbolise, tendrement penché sur la jeune fille qui l'écoute, cette scène éternellement vraie des aveux murmurés tout bas et des premiers battements du cœur. Ce joli groupe se détache en clair d'un fond de ciel bleu et de collines boisées ; il est regrettable seulement que l'excessif poli de la touche donne aux chairs des tons d'ivoire et de porcelaine.
Gérard excella surtout dans le portrait, mais il peignait aussi volontiers les scènes mythologiques dont il avait puisé le goût dans son enfance passée à Rome et, plus tard, dans l'atelier de David qui le compta parmi ses plus brillants élèves. L'œuvre charmante que nous donnons ici appartient à ce genre, alors très à la mode. Mais Gérard s'inspire de l'antique avec moins d'austérité et avec plus de grâce que David ; il ne choisit pas comme lui ses personnages parmi les héros, il recherche de préférence les sujets gracieux, les scènes aimables, bien faites pour son pinceau facile et léger. N'était le coloris, on le prendrait pour un peintre venu trop tard et versé dans le classique faute de mieux, parce que Watteau, Fragonard et Boucher, ne sont plus. Il possède une grande suavité de touche, un coloris agréable et fin qui charment et séduisent.
David aimait beaucoup Gérard ; il favorisa ses débuts dans la peinture ; fougueux partisan des idées nouvelles, il essaya même de l'entraîner avec lui dans la politique militante. Lorsque la Convention régna souverainement sur la France, David crut être agréable à son élève en le faisant nommer membre du tribunal révolutionnaire. Mais Gérard n'avait que peu d'inclination pour cette fonction redoutable ; il simula une maladie pour n'avoir pas à la remplir.
Quand Napoléon prit le pouvoir, Gérard était à l'apogée de sa réputation et dans tout l'éclat de son talent. Ses portraits l'avaient rendu célèbre : certains d'entre eux, celui d'Isabey, celui de Brongniart et surtout celui de Madame Récamier l'avaient consacré grand portraitiste. A vrai dire, Gérard ne brillait pas par la vivacité de l'expression ni par la vigueur du modelé ; ses personnages étaient toujours marqués d'une sorte de morbidesse, mais qui se rachetait par une élégance raffinée et par un charme incontestable. Gérard ne sacrifia jamais la ressemblance, mais il possédait un incomparable tour de main pour embellir ses modèles : aussi fut-il le peintre préféré des femmes. La cour l'adopta aussi : il eut à peindre Madame Laetitia, l'impératrice Joséphine et l'Empereur lui-même en costume de gala. Napoléon, qui ne manquait pas de coquetterie, ne fut pas insensible à la flatterie de Gérard qui accentua encore, en l'affadissant il est vrai, la beauté romaine de son visage. Il se montra ravi de son portrait. Il eut alors la singulière idée de vouloir faire de Gérard un peintre de batailles et il le chargea de peindre la Bataille d'Austerlitz. Gérard fit de son mieux : sa composition ne manque ni d'habileté ni d'harmonie, mais on n'y trouve pas cet élan, cette fougue dont Gros animait les siennes ; il n'était pas taillé pour le genre héroïque.
La chute de l'Empire ne porta aucune atteinte à sa faveur, qui s'accrut encore avec la Restauration. Il devint le peintre de la famille royale, comme il avait été celui de la famille impériale. Il reçut le titre de premier peintre du roi et fut créé baron en 1819.
Malgré la gloire dont il jouit de son vivant, Gérard n'égale pas les autres grands peintres de son époque ; il ne vient qu'assez loin derrière David, Gros et Prud'hon. Il n'en est pas moins un artiste délicat et gracieux, les chairs de ses personnages ont des teintes ivoirines très plaisantes, mais qu'il poussa parfois jusqu'à l'exagération. Quelques-unes de ses toiles, comme Psyché, sont de tout premier ordre.
Psyché recevant le premier baiser de L'Amour parut au Salon de 1798. Il fut payé 6.000 francs au peintre en 1801, puis acheté par l'État pour 28.100 francs en 1822, à la vente du baron Rapp.
Hauteur : 186 cm – Largeur : 132 cm.